Vernon Politique

Vernon : destruction de 70 logements sociaux au centre-ville

EdNonrev

Eure Habitat, le plus gros bailleur social du département, veut détruire les immeubles Anatole France et Louis Hébert, situés en bord de Seine. Une situation révélée il y a un mois par la fédération de l’Eure de la confédération nationale du logement (CNL27), qui s’insurge contre “les Monopoly entre bailleurs sociaux”, et prône une réhabilitation des immeubles existants.

Si cette destruction se concrétisait, on verrait là disparaître les derniers logements à très faible loyer du centre-ville de Vernon, au profit de logements sociaux aux loyers nettement plus élevés. De quoi mettre en porte-à-faux le maire de Vernon, vice-président d’Eure Habitat, qui prône la mixité sociale depuis son élection de 2008. Il assume pourtant cette décision, malgré la colère de ses alliés écologistes et communistes.

Sommaire :

  1. Anatole France et Louis Hébert : des immeubles mal-aimés
  2. Eure Habitat refuse la réhabilitation
  3. Vers une explosion des loyers du logement social ?
  4. La Secomile : rachat et constructions neuves
  5. Jean-Luc Lecomte et Jean-Claude Mary, des alliés furieux
  6. Philippe Nguyen Thanh, une position ferme

Anatole France et Louis Hébert : des immeubles mal-aimés

Immeuble Anatole France, vu de la rue Louis Hébert.

Immeuble Anatole France, vu de la rue Louis Hébert.

Ces deux immeubles auraient déjà dû être détruits en 1991, avant que le préfet n’intervienne auprès d’Eure Habitat. Les locataires de ces deux immeubles à l’emplacement favorisé sont ainsi de véritables oubliés du patrimoine d’Eure Habitat. Enfin, les locataires qui restent : sur les 70 logements disponibles, seuls 23 sont encore occupés (plus 10 appartements pour l’association ALFA)1.

Si l’entretien courant des parties communes est effectué, aucun travaux de gros entretien ou de rénovation ne sont intervenus ces 25 dernières années. D’ailleurs, les locataires doivent payer leurs installations de chauffage, au mépris de la loi sur le logement décent2.

Les locataires n’avaient pas été informés de la destruction à venir de leur immeuble. C’est donc la CNL27, présente aux conseils d’administration, qui s’est chargée de le faire. Devant des habitants médusés, mais fatalistes face à la situation d’abandon qu’ils vivent depuis des années.


Eure Habitat refuse la réhabilitation

Immeuble Anatole France et quais de Seine.

Immeuble Anatole France et quais de Seine.

Le bailleur social estime que les coûts de réhabilitation seraient trop élevés pour ces deux immeubles d’après-guerre. Eure Habitat prévoit donc de les détruire, puis de vendre le terrain à la Secomile, un autre bailleur social de l’Eure3.

Selon Jacques Caron, le président de la CNL27, il n’y a “aucun problème de structure” dans les deux bâtiments. Il prend pour exemple des immeubles similaires d’Eure Habitat, qui une fois rénovés “ne posent aucun souci”. Et ajoute, à l’endroit des élus, administrateurs d’Eure Habitat :

Son seul point défavorable est d’avoir une vue sur la Seine. Pour certains, c’est insupportable de voir des locataires sans moyens aussi bien situés.

Jean-Luc Lecomte, adjoint communiste de Vernon et membre du conseil d’administration de la Secomile, était présent ce jour-là pour “informer les locataires” des projets en cours. Il a tempéré les propos de Jacques Caron, en expliquant qu’une réhabilitation serait faisable, mais coûterait de l’argent car “la structure est un peu affaiblie d’après les architectes”.

Plus largement, Jacques Caron estime qu’Eure Habitat a fait le choix délibéré de favoriser la construction de logements neufs à la réhabilitation de l’existant4 :

Eure Habitat, dans son plan stratégique 2006-2014, se donne comme objectif de renouveler 3 % de son patrimoine bâti par an. Quelqu’un qui vit 100 ans aura changé trois fois de logement !

Il a prévenu ce jour-là que la CNL27 défendrait la conservation de ce bâtiment. Il a donc encouragé la quinzaine de locataires présents à la réunion à se battre. Et les a félicité du bon entretien de leurs appartements, “la meilleure façon de sauver” leurs immeubles.


Vers une explosion des loyers du logement social ?

Le noeud du problème pour la CNL27 et les locataires, c’est le coût des loyers. Selon Jacques Caron, le loyer des logements sociaux dans un immeuble neuf est au minimum deux fois plus élevé que celui d’un immeuble réhabilité (du même type qu’Anatole France et Louis Hébert), et trois fois plus élevé que leur loyer actuel.

Une telle augmentation serait impossible à absorber pour des locataires bénéficiant souvent des minimas sociaux, tels le minimum vieillesse ou le RSA. Selon Jacques Caron, ces très faibles loyers sont ceux “dont on a le plus besoin”, les logements sociaux dans l’Eure voyant leurs prix se rapprocher de plus en plus de ceux du marché immobilier locatif5.

Chez les locataires, plutôt âgés, de l’immeuble, une suppression de leurs appartements aurait des conséquences très concrètes :

Ils n’ont pas de logement à nous donner. Ici, un F4 coûte 250 euros6. Si je suis relogé, je me retrouve dans un studio à ce prix, loin du centre-ville.


La Secomile : rachat et constructions neuves

C’est Jean-Luc Lecomte qui a expliqué aux locataires ce qui se préparait sur cet emplacement. La Secomile, qui devrait, sauf surprise, racheter le terrain, prévoit de reconstruire trois immeubles à la place des deux existants.

L’un, le long de la Seine, avec la vue sur le fleuve, serait vendu dans le cadre de programmes d’accession à la propriété. Les deux autres, de 22 logements chacun, seraient situés du côté de l’avenue de Paris.

Le résultat, au centre-ville de Vernon et si l’on compte tous les programmes de construction en cours, sera une stabilité l’ajout d’une trentaine de logements sociaux sous la mandature socialiste. Avec une très forte augmentation, cependant, des loyers moyens de ces logements. De quoi relativiser les engagements en matière de mixité sociale pris publiquement par la mairie de Vernon…


Jean-Luc Lecomte et Jean-Claude Mary, des alliés furieux

Pour Jean-Luc Lecomte (comme pour Jacques Caron), les programmes de réhabilitation de l’Agence Nationale pour la Rénovation Urbaine (ANRU) sont pour partie responsables de la situation. En effet, en favorisant la destruction, puis la construction de logements neufs, ces programmes pousseraient les bailleurs sociaux à négliger la réhabilitation d’immeubles existants7.

L’élu communiste a affirmé ne pas aimer “la politique du secret” et s’est dit “attaché” à la défense de ces immeubles situés à l’endroit “le plus sympa de la ville”. Il a proposé son soutien aux habitants, en tant qu’élu et administrateur de la Secomile :

Je serai à vos côtés dans cette lutte. Soit on se bat pour garder les logements sociaux actuels, soit on se bat pour que le loyer reste identique. […] La mixité sociale, c’est aussi en centre-ville et pour les gens les plus modestes.

Jean-Claude Mary, présent lui aussi à la réunion, a parlé ce jour-là sans ambiguïté :

Je suis pour soutenir les locataires, qui sont là pour des raisons financières. Les habitants sont attachés à leur lieu de vie, on n’arrache pas des gens d’un endroit où ils sont parfois depuis plus de cinquante ans. […] Et ces gens sont de condition sociale très modeste, on a là une mixité sociale de fait.

Il estime qu’il est possible de réhabiliter “pour moins cher” qu’une destruction-reconstruction. Et que ce choix d’Eure Habitat est “inhumain” pour les locataires, et “irrationnel sur le plan écologique et financier”. C’est ce qui a entraîné son abstention lors du dernier conseil municipal, au sujet de la construction à venir de logements d’Eure Habitat à l’emplacement du square Benjamin Pied.


Philippe Nguyen Thanh, une position ferme

Lors de sa réunion publique, le président du CNL27 exprimait ses demandes vis-à-vis du maire de Vernon, qui est également vice-président d’Eure Habitat :

Déjà, il y a un an, je lui avais dit qu’on tenait absolument au maintien de ces immeubles, il m’avait dit qu’il avait une autre stratégie. Un bon élu sait s’adapter aux conditions locales, j’espère donc que ça va s’arranger dans les mois à venir. Il peut faire de cet immeuble une vitrine, une image de marque pour le logement social, y compris pour les plus modestes.

Lors du conseil municipal du 18 décembre dernier, Philippe Nguyen Thanh a répondu “gentiment” à l’intervention de Jean-Claude Mary. Il a confirmé la “nécessité de reconstruire” du logement neuf, résultant “des obligations d’Eure Habitat sur l’ANRU”8.

Selon le maire de Vernon, qui s’est abstenu de donner des chiffres, il est “hors de question” de réhabiliter pour Eure Habitat, à cause du coût des travaux9. Jean-Claude Mary ferait ainsi “des affirmations invraisemblables” en le disant possible :

Vous êtes très loin de la réalité Monsieur Mary. […] Ce sont des coûts invraisemblables, que ne peut supporter n’importe quel promoteur, à fortiori un bailleur social.[…] ce n’est pas possible. Sur ces bâtiments, la réflexion nous a conduit à contacter un certain nombre de bailleurs pour reconstruire. Par contre, la conservation dans l’état actuel est une hérésie économique, architecturale et sociale. Le prix de réhabilitation, c’est trois fois ce que pourrait mettre Eure Habitat.


Aller plus loin

Logement sociaux en bord de Seine : statu quo jusqu’aux élections (3 juillet 2013)

Article sur un récent rapport de la chambre régionale des Comptes, qui critique violemment la politique du logement poursuivie par Eure Habitat : La chambre régionale des Comptes allume Eure Habitat

Site internet de la fédération des locataires CNL de l’Eure : CNL27

  1. Il y a donc 37 logements sociaux disponibles à la location au centre-ville de Vernon et à des prix très bas. Mais il semble qu’Eure Habitat ne les propose plus aux demandeurs depuis des années…
  2. Une situation illégale, vertement critiquée par la chambre régionale des Comptes dans un récent rapport.
  3. Le choix d’Eure Habitat ne compare donc pas une réhabilitation à une destruction-reconstruction, deux choix coûteux. Il compare une réhabilitation, donc une sortie d’argent, à une vente pure et simple après démolition, donc une rentrée d’argent.
  4. Dans son rapport sur Eure Habitat, la chambre régionale des Comptes indique que le bailleur social eurois a un taux très bas de réhabilitation de ses immeubles par rapport aux autres bailleurs sociaux en France.
  5. Des propos confirmés par le rapport de la chambre régionale des Comptes, qui estime que l’offre d’Eure Habitat, en particulier en ce qui concerne les logements neufs, n’est pas adaptée aux habitants (trop pauvres) auxquels ces logements sociaux se destinent.
  6. C’est le tarif actuel, sans réhabilitation ni chauffage. Avec réhabilitation, le loyer serait, d’après Jacques Caron, entre 400 et 500 euros.
  7. Ces immeubles anciens ou leur réhabilitation ne rapportent en effet aucune subvention de l’ANRU. Une ANRU qui exige de détruire dans les quartiers sociaux denses, puis de reconstruire des logements neufs en quantité identique. Par exemple, à Vernon, les immeubles d’Eure Habitat devant voir le jour square Benjamin Pied et au Grévarin sont le résultat de l’opération ANRU des Boutardes.
  8. Il a également rappelé que c’était lui qui avait mis à disposition dix logements dans ces immeubles pour l’association ALFA, et destinés à des Vernonnais en situation de grande précarité.
  9. On notera avec intérêt que la chambre régionale des Comptes, dans son rapport sur Eure Habitat, déplore le très faible niveau de rénovations et réhabilitations faites par le bailleur dans son parc immobilier.