Vernon Politique

La chambre régionale des Comptes allume Eure Habitat

EdNonrev

Immeuble d'Eure Habitat à Vernon. N'a jamais eu de chauffage, est à moitié vide, et est voué à la destruction prochaine.

Immeuble d’Eure Habitat à Vernon. N’a jamais eu de chauffage, est à moitié vide, et est voué à la destruction prochaine.

 

La chambre régionale des Comptes de Haute-Normandie a passé au crible la gestion d’Eure Habitat, dans un rapport étrangement passé inaperçu, publié en juin 2012, et portant sur une période allant jusqu’à 2011. Eure Habitat représente 39 % des logements sociaux de l’Eure, avec plus de 16 000 habitations.

 

Si l’aspect financier est globalement satisfaisant, le rapport se concentre longuement sur la politique du logement poursuivie par Eure Habitat. Sous la forme d’un véritable réquisitoire : logements existants très peu réhabilités, logements neufs au loyer trop élevé, taux de vacance important et impayés en augmentation.

 

Un portrait sombre, alors que le conseil d’administration d’Eure Habitat est composé d’élus locaux eurois. Son président est ainsi Alfred Recours, maire de Conches-en-Ouche, son vice-président Philippe Nguyen Thanh, maire de Vernon, et ses membres comptent Michel Champredon, maire d’Evreux, Jean-Louis Destans, président du Conseil Général, ou encore Pascal Jolly, maire de Gasny.

Une bonne gestion des emprunts et des contrats

 

Les quelques points positifs concernent la gestion financière proprement dite. La chambre régionale des Comptes félicite l’organisme pour “la maîtrise” de ses emprunts1. Elle estime même que son niveau actuel devrait permettre “une poursuite de l’accroissement de la dette de l’office et de son étalement” dans le temps.

 

Les magistrats n’ont par ailleurs relevé que deux contrats litigieux : l’un concernant une agence payée pour la vente de ses logements, l’autre à propos d’un groupe de contrats qui concernaient l’entretien des ascenseurs (contrats reconduits depuis des décennies).

 

 

 


 

Insuffisances de l’entretien et des réhabilitations

 

La première fausse note, c’est le nombre total de logements d’Eure Habitat, que la chambre régionale des Comptes n’a pas pu déterminer avec exactitude. La faute, pour les magistrats, à l’impossibilité d’obtenir “des documents fiables et transparents” à ce sujet.

 

Des magistrats qui estiment que l’entretien courant des logements, s’il est en progression, “reste inférieur à la médiane” nationale2. La chambre “s’étonne” aussi du fait que 285 logements ne comportent, en 2010, aucun dispositif de chauffage, au mépris de la loi sur le logement décent3.

 

Les magistrats constatent que 2 586 logements, construits avant 1980, n’ont jamais été réhabilités. Ils soulignent “la faiblesse du nombre de logements réhabilités par Eure Habitat”4. Ils blâment également le bailleur social de n’avoir que “peu bénéficié” du PALULOS, une prime de l’État destinée aux réhabilitations.

 

 

 


 

Des logements neufs beaucoup trop chers

 

Les logements neufs sont eux aussi très critiqués par les magistrats. Ils constatent que de nombreuses demandes n’aboutissent pas, faute de loyers trop élevés pour les demandeurs. Parfois, ce sont des décisions techniques qui sont en cause, telles que des logements en duplex.

 

Mais le plus souvent, c’est le choix du dispositif de financement qui est considéré comme responsable de ces loyers inaccessibles. La chambre régionale des Comptes dénonce le choix trop fréquent du PLUS, un dispositif qui entraîne des loyers trop élevés pour les plus pauvres, et même trop élevés pour toucher des aides au logement. La chambre estime que cette favorisation du PLUS sur le PLAI, un autre financement de l’État qui permettrait des loyers plus faibles, ne correspond pas à la population euroise.

 

Les magistrats recommandent à Eure Habitat de “prendre en compte ce qu’est la réalité de la demande”, et notent la surdité de l’organisme aux remarques des municipalités et des associations locales5. Ils s’inquiètent également pour ces nombreux demandeurs trop pauvres pour louer un logement social6 :

La question se pose de savoir ce que deviennent toutes ces candidatures retenues par la commission et qui ne débouchent pas sur une attribution alors que tant de logements restent vides.

 

Au-delà de l’aspect social, le rapport est très clair sur les conséquences de cette situation sur les finances du bailleur social :

L’office construit du logement social à loyer élevé pour des populations défavorisées qui lui font donc courir un réel risque de vacance de logements et d’impayés.

 

 

 


 

Forte augmentation de la vacance et des impayés

 

Un risque qui semble déjà en cours de concrétisation : le rapport établit “une forte progression” des impayés de loyer. Ceux-ci correspondaient en 2008 à 1,7 % des loyers, ce qui place Eure Habitat en 33ème position parmi les 36 bailleurs sociaux départementaux de taille semblable. Des résultats considérés comme “mauvais” dans le rapport.

 

Et c’est pareil pour les logements vacants : le problème concerne désormais “la totalité” du département. Quel que soit le secteur, les pertes dues à la non-location sont en augmentation, et plus élevées que ce qu’Eure Habitat avait prévu.

 

 

 


 

Le directeur d’Eure Habitat trop généreusement rémunéré ?

 

La chambre régionale des Comptes s’en prend même au salaire de Gilles Gal, le directeur général d’Eure Habitat depuis 2009. Si elle considère sa rémunération fixe “conforme à la réglementation” (106 945 euros bruts), elle s’étonne de la part variable (dont elle ne donne pas le montant).

 

En effet, depuis 2011, 70 % de cette part variable tient à l’obtention du quitus de sa gestion et se caractérise par sa “quasi-automaticité”. 30 % seulement de cette rémunération variable reste liée à “l’efficacité de la gestion locative”, comme la baisse des impayés ou de la vacance.

 

Les magistrats estiment dans leur rapport que le conseil d’administration est seul responsable de ces choix de rémunération. Des choix qui “ne constituent pas une incitation à l’amélioration de la situation de l’organisme en termes de vacance et d’impayés et donc d’efficacité de la gestion”. De quoi faire réfléchir les élus locaux eurois…

 

 

 


 

Gilles Gal répond partiellement et blâme l’État

 

Le directeur général d’Eure Habitat, dans sa réponse aux magistrats, défend son institution en pointant le fait que “son parc est ancien”, et que “ses locataires sont les plus pauvres” du département. Il se félicite du fait que la chambre régionale des Comptes n’ait pas trouvé de “manquement à la réglementation” en ce qui concerne les procédures d’attribution7.

 

Il affirme que le bailleur a fait un effort “conséquent” pour l’entretien des logements : depuis 2010, le budget d’entretien courant a été porté au niveau de la médiane nationale des autres bailleurs sociaux8. Gilles Gal défend également l’idée que les démolitions-reconstructions sont “un moyen de moderniser le parc” de logements.

 

Le directeur général estime qu’Eure Habitat n’est pas responsable des loyers trop élevés des logements neufs. Il renvoie vers l’État, qui permet “une proportion de 20 % maximum de PLAI” (loyers plus faibles) pour que les bailleurs sociaux touchent des subventions9.

 

C’est un vrai aveu d’impuissance que fait là Gilles Gal, qui reconnaît que les loyers de ses logements neufs sont inaccessibles :

Cela nous conduit à réaliser majoritairement du PLUS, dont le loyer est trop élevé par rapport aux revenus des familles à loger.

 

Il semble que ni lui, pas plus que les élus locaux présents au conseil d’administration, n’aient de solutions à proposer. Ils n’envisagent pas de favoriser les réhabilitations, parent pauvre d’Eure Habitat. Des réhabilitations qui permettent pourtant de conserver des loyers accessibles. Et, en attendant, tous continuent d’encourager un processus qui aboutit à des logements sociaux aux loyers de moins en moins sociaux…

 

 

 


 

Infographie : constructions, destructions, réhabilitations

 

Ne sont pas comptabilisés dans cette infographie 1200 logements acquis en 1999, suite au rachat du patrimoine de l’Eure de la S.A. HLM de Haute-Normandie. | Source : Eure Habitat & Chambre régionale des Comptes de Haute-Normandie.

Ne sont pas comptabilisés dans cette infographie 1200 logements acquis en 1999, suite au rachat du patrimoine de l’Eure de la S.A. HLM de Haute-Normandie. | Source : Eure Habitat & Chambre régionale des Comptes de Haute-Normandie.

 

On peut observer l’aspect récent des démolitions de logements sociaux par Eure Habitat (depuis 2001). Des démolitions dues notamment aux opérations de rénovation urbaine subventionnées par l’ANRU, mais aussi par des choix politiques du conseil d’administration d’Eure Habitat au travers des démolitions-reconstructions. Par ailleurs, on notera l’augmentation du nombre de réhabilitations ces dernières années. Une augmentation nettement insuffisante si l’on en juge par les propos tenus dans le rapport.