Vernon Politique

Entretien avec Hervé Herry, président du CRI

EdNonrev

Hervé Herry, président du CRI, janvier 2012.

Le CRI est une association qui défend la venue de MacArthur Glen et de son Village de Marques à Vernon, sur internet et dans la presse. Les Vernonnais présents lors du premier projet (avorté) de MacArthurGlen, en 1995, s’en souviennent peut-être. Pour les autres, le CRI et son très actif président intriguent. J’ai décidé d’aller en parler avec Hervé Herry, lors d’un long entretien qu’il m’a accordé à son domicile vernonnais.

L’homme est fier de son parcours professionnel au ministère de la Défense. Il a débuté en 1975 au LRBA, dans l’informatique de gestion. Il est en retraite depuis six mois, d’un poste de chargé de mission pour les infrastructures des systèmes d’information au ministère de la Défense, c’est-à-dire les programmes informatiques qui permettent aux structures militaires de fonctionner. Entre ces deux postes, il aura travaillé dans de nombreux domaines de l’informatique militaire, du guidage des missiles balistiques de la force de frappe nucléaire à l’élaboration des systèmes de navigation des sous-marins nucléaires lanceurs d’engins. Une fonction qu’il décrit comme le “point d’orgue” de sa carrière, car elle lui aura permis de passer des dizaines d’heures en plongée dans les sous-marins de la Marine, une expérience rare pour un civil.

Comme souvent avec les ingénieurs, le président du CRI n’a pas peur de parler franchement. J’ai pu lui poser toutes les questions que je voulais vis-à-vis de son soutien au Village de Marques : mon impression personnelle fut celle d’un homme sincère dans ses positions, et fidèle à ses amitiés. Par ailleurs, Hervé Herry est également membre de Générations Vernon1.


Mise à jour, 13 décembre 2012 : Hervé Herry, aujourd’hui, est également engagé de manière importante au sein de l’UMP locale et de Générations Vernon. Quant au CRI, dont il est toujours le président, il a comme vice-président François Ouzilleau, trésorier de Générations Vernon et responsable cantonal de l’UMP.



Quelle est l’histoire du CRI ? Et pourquoi ce soutien presque exclusif au projet de Village de Marques ?

Pendant ma carrière à Vernon, en poste au LRBA, j’ai eu comme collaboratrice et assistante dans les années 90 l’épouse du président du groupement interprofessionnel de la région de Vernon. C’est ainsi que je suis venu régulièrement aux réunions du GIRV, où je suis d’ailleurs toujours invité. C’est ce qui explique ma bonne connaissance du milieu économique vernonnais.

En 1995, lorsque MacArthurGlen veut s’installer sur le territoire de la CAPE pour la première fois et que le Normandie Parc est créé pour cela, les protestations des commerçants ont surpris tout le monde, alimentant les discussions du microcosme local. Quelques amis me suggèrent de proposer aux porteurs du projet de créer une association permettant de porter une parole en faveur de celui-ci. Ils n’ont pas eu à me pousser beaucoup !  Ce sera le CRI. Nous ferons ainsi de la communication en faveur du projet jusqu’en 1997, année de l’ouverture du centre MacArthurGlen de Roubaix.

C’est Jacques Bunel, patron de Built [NdA : promoteur vernonnais dans l’immobilier de bureaux et industriel] et propriétaire d’une partie des terrains du Normandie Parc, qui, en apprenant dans le cadre de son activité professionnelle que le groupe avait à nouveau un projet dans l’Ouest parisien, a proposé le site de Douains à MacArthurGlen [NdA : Jacques Bunel est un ami d’Hervé Herry]. Et contrairement à 1995, où les promoteurs avaient très peu communiqué sur leur projet, il fut décidé par Built et MacArthurGlen, propriétaires à parité de l’entreprise promoteur du village, d’avoir une démarche de communication et de transparence dès le départ.

Jean-Luc Miraux paraissait légitime pour porter politiquement ce deuxième projet, puisqu’il avait lui-même lancé le premier en 1995, en tant que président de la CAPE. Il a refusé de s’impliquer. Gérard Volpatti, président actuel de la CAPE, comprenant toute l’opportunité que représentait un tel projet pour le bassin d’emploi, a, lui, accepté. C’est ainsi qu’il a été amené à en faire l’annonce.

La réaction de certains commerçants ne s’est pas faite attendre, leurs déclarations virulentes et leurs protestations ont envahi les médias locaux. Pour faire connaître un point de vue différent de celui des opposants au projet, j’ai réanimé le CRI, en sommeil depuis 1997. L’association, qui ne comptait que 4 membres au départ, compte aujourd’hui 403 adhérents, et plus de 1600 signatures électroniques uniques de soutien émanant de tous les milieux socio-professionnels.


Avez-vous, ou votre association, de quelconques liens financiers avec MAG et Built ? 

Contrairement à ce qu’on dit, je n’ai rien à gagner financièrement dans cette affaire. Ni moi personnellement, ni le CRI, ne touchons le moindre centime de Built, de MacArthurGlen ou de quiconque. Je me suis rendu en déplacements privés à Troyes, sauf celui de mars 2011 ou j’ai été invité par la chambre de commerce et d’industrie de l’Eure, comme à Serravalle, pour interviewer les acteurs d’autres Villages de Marques. J’ai sollicité l’agence Acadia [NdA : agence de communication de Vernon] pour qu’elle crée le site internet du CRI et me mette le pied à l’étrier du fonctionnement de la publication sur internet. Un site dont je m’occupe maintenant tout seul.

Lorsque nous faisons une opération qui dépasse le cadre des moyens financiers de l’association, nous recherchons des sponsors, comme toute association. Ce peut être MacArthurGlen ou Built, mais aussi d’autres contributeurs dont je respecte la volonté d’anonymat, comme pour les gens qui soutiennent le CRI et qui le demandent.


Pourquoi vous impliquez-vous autant personnellement ?

Je suis fonctionnaire, à la retraite depuis peu, et chacun sait qu’un fonctionnaire ça ne fait rien, qu’il s’agit d’un privilégié a priori peu concerné par les problèmes de la grande majorité des français… puisque j’ai du temps et que je suis privilégié, je peux donc m’engager et dire tout haut ce que d’autres pensent tout bas. J’ai voulu répondre aux commerçants opposés au projet, qui se targuaient de vouloir faire du lobbying auprès des élus et de la presse. La majorité silencieuse, majorité car 82% de la population de la région est pour le projet [NdA : selon un sondage d’avril 2011, commandé par le CRI au cabinet Efficience 3], peut elle aussi interpeller la presse et les élus.

Il n’y a pas d’autre projet sur Vernon capable de créer des emplois à cette échelle. Là, on a un projet 100 % privé, qui ne demande aucune subvention à qui que ce soit, ni à l’Etat, ni à la Région, ni au Département, ni à la CAPE, et on serait assez bêtes pour refuser 160 millions d’euros d’investissement ? C’est aussi un défi personnel. J’ai voulu montrer à mes amis chefs d’entreprises ce qu’un fonctionnaire peut faire lorsqu’il n’est plus soumis au devoir de réserve.


Quelles sont pour vous les lignes de partage entre pro et anti-Village de Marques ?

Je pense qu’il y a deux lignes de partage dans la région :

  • Une ligne Évreux Vernon. Historiquement, il n’y a jamais eu de fortes liaisons économiques ou politiques entre Évreux et Vernon. Le modèle de développement de la communauté d’agglomération d’Évreux est de se voir en capitale de l’Eure. Ce modèle fait reposer le développement du reste du département sur un  rayonnement du développement économique d’Évreux, qu’il faudrait donc favoriser2. Je n’ai pas cette vision là, car je pense que chaque territoire eurois a des atouts. Ces territoires doivent pouvoir les mettre en avant, et les utiliser pour défendre leur activité économique.
  • La seconde ligne de partage est au sein des commerçants de la région. A Vernon, l’UCIAL est en faveur du projet : son président, Eddy Boitheauville, l’a porté et fut réélu à l’unanimité par les membres de l’union commerciale. Une autre frange minoritaire des commerçants de la ville y est opposée. A mon sens, les commerçants d’Évreux manipulent ceux de Vernon, car il est clair qu’Évreux ne bénéficiera pas, ou à la marge, du futur Village de Marques. Cependant, les ébroïciens ne se sont pas préoccupés de Vernon lorsqu’ils ont lancé leurs propres surfaces commerciales et ils n’ont pas plus l’intention de s’en préoccuper dans le cadre du réaménagement du site de l’hôpital. Par ailleurs, tous les commerçants d’Évreux ne sont pas contre le projet.

Quel acteur politique, s’il y en a un, vous a semblé cohérent de bout en bout sur ce dossier ?

J’ai discuté du sujet avec Jean-Claude Mary à la dernière assemblée du GIRV3. Je peux comprendre les positions de Vernon-défis et des Verts, qui reposent sur des arguments de fond. Je réponds : ce n’est pas votre modèle de développement sociétal, j’admets que vous ne soyiez pas d’accord, mais que proposez-vous à la place de MacArthurGlen qui permette de créer sur Vernon 700 emplois en 3 ans ? Les jeunes de Vernon qui sortent du lycée Dumézil, jusqu’à quel âge seront-ils au chômage ? Quel espoir donne-t-on aux jeunes ? C’est pour ça que je me bats. Mais c’est vrai que la démarche des écologises est cohérente.


A propos du Village de Marques, Jean-Claude Mary disait en décembre, lors d’un entretien pour le Petit journal politique :

Ce qui nous déplait dans ces projets, c’est le côté voiture, comme celui de notre société de consumérisme. Que ce soit sur l’A13 ou au centre-ville d’Évreux ne change rien à notre opposition au projet. En plus, c’est faire miroiter des marques haut de gamme, alors que les ménages ont des dépenses d’habillement en baisse. C’est comme le refus de la ligne nouvelle Paris Normandie : nous nous opposons à ce mouvement de développement économique, qui se fait par la concentration et la mondialisation.


Le CRI compte-t-il s’extraire du seul soutien à l’utilisation du Normandie Parc, et pour quels projets ?

Deux autres projets nous tiennent à coeur, qui concernent la reconversion du site du LRBA. Il y a l’axe muséal, dont je pense qu’il pose des problèmes vis-à-vis de l’accueil du public [NdA : à cause de la présence de la Snecma, avec son PPRT et les contraintes afférentes de sécurité. On ne peut entraîner des visiteurs à réagir à un accident industriel…].  C’est la raison pour laquelle je reste dubitatif sur la possibilité d’installer un musée de l’aventure spatiale européenne sur le site de l’ancienne soufflerie [NdA : ce projet est soutenu par l’association AVAS] .

Et puis il y a la mise en place d’un campus universitaire sur le site de la base-vie. Antoine Grumbach a parlé des possibilités de développement économique lorsqu’il a présenté son projet Seine Métropole, en nous incitant à choisir nos opportunités, dont notamment les universités et écoles parisiennes, qui ont besoin de place pour s’étendre et ne peuvent le faire à Paris. Cet usage est compatible avec le PPRT, car les étudiants sont alors des résidents, que l’on peut entraîner à réagir en cas de problème.

Soyons clairs cependant : on ne pourra amener d’activité industrielle ou logistique nouvelle au LRBA, car celui-ci est très isolé pour d’évidentes raisons historiques [NdA : centre d’expérimentation militaire] . Par contre, des activités tertiaires sont possibles sur le site : des entreprises voulant de la discrétion, des datacenters informatiques, des écoles, etc… à mon sens, pour le moment, la position attentiste de la majorité municipale, c’est surtout du temps perdu. Le LRBA n’est pas un cadeau empoisonné, le sol est dépollué et les bâtiments sont sains [NdA : malgré sa retraite, Hervé Herry assiste la direction du LRBA pour la fermeture, et connaît donc aussi très bien ce dossier].


Pour vous et le CRI, quel est l’avenir du développement économique à Vernon et aux alentours ?

Nous avons une pépite avec Giverny. Je suis certain qu’il y a d’autres trésors architecturaux et touristiques à découvrir sur le territoire de la CAPE, et que le tourisme est un axe majeur du développement de Vernon, ainsi que l’a très bien décrit le Conseil Général. C’est dans ce contexte qu’un Village de Marques et ses plus de trois millions de visiteurs annuels prennent tout leur sens : une telle manne ne se laisse pas passer, même si quelques-uns peuvent en souffrir… ce qui n’est pas démontré !

La clé de cette transformation touristique est dans l’hébergement : il faut faire rester les visiteurs sur place, pour qu’ils aillent ailleurs qu’au Village de Marques ou à Giverny. Il faut donc développer la capacité d’hébergement en transformant de nombreux lieux en gites ou hôtels, à l’image de ce qui a été fait à Serravalle4.

Site internet : Grand-Vernon CRI

  1. Groupe politique présidé par Sébastien Lecornu, ce dernier bénéficiant du soutien de l’UMP.
  2. A l’image de Paris pour le reste de la France : un modèle souvent décrié par les élus des collectivités locales en-dehors d’Île-de-France.
  3. Rappel : le groupe écologiste vernonnais Vernon-défis, comme les Verts d’Évreux et du département, se montrent opposés à ce Village de Marques sous quelque forme que ce soit, pour des questions idéologiques liées au mode de développement économique.
  4. La ville italienne où un Village de Marques MacArthurGlen s’est ouvert il y a quelques années.