La série d’articles sur l’emprunt vernonnais, par laquelle ce petit journal a débuté son existence, utilisait des chiffres que je savais approximatifs. Seulement, je m’étais également trompé assez fortement concernant les calculs relatifs aux taux des emprunts structurés détenus par la municipalité1 .
En effet, Guillaume Guibet, l’adjoint aux Finances de la mairie de Vernon, m’a contacté il y a quelques semaines par l’intermédiaire de ce blog. Il m’a permis d’accéder aux documents de référence dont disposent ses services concernant l’emprunt. Il m’a aussi longuement parlé de la situation de la ville à ce propos. Qu’il en soit remercié, en particulier pour les documents : un tel exercice de transparence budgétaire est suffisamment rare pour être signalé.
Des corrections s’imposent donc2 , elles sont importantes, et changent assez fortement les responsabilités des uns et des autres dans le type d’emprunts composant la dette de Vernon. L’article ci-dessous sera donc consacré aux deux emprunts structurés (et toxiques) de la ville de Vernon. Le prochain article, lui, sera consacré à la dette vernonnaise dans son ensemble, et à sa gestion actuelle et future par la municipalité.
J’ai également contacté Jean-Luc Miraux, afin de lui permettre de donner sa vision de l’emprunt lorsque lui-même était maire, et de dire ce qu’il pense de la gestion actuelle par la majorité municipale. Il m’a parlé assez librement, qu’il en soit lui aussi remercié.
Sommaire :
L’emprunt Dexia de 2010 | 9,75 millions d’euros
L’emprunt Caisse d’Epargne de 2007 | 4 millions d’euros
Une part préoccupante dans l’endettement total de la ville
L’emprunt Dexia de 2010 | 9,75 millions d’euros
Cet emprunt a été souscrit par la municipalité actuelle. Cependant, il ne constitue pas un nouvel emprunt, mais la renégociation d’emprunts pris par les précédentes municipalités (l’endettement de la ville n’a pas été modifié) . Il est composé de trois tranches distinctes, de 3,25 millions d’euros chacune, qui seront payées entièrement par Vernon en 2025.
Le taux de la première tranche est un taux variable presque classique, comme un particulier pourrait en avoir somme toute. Ce sont les deux autres tranches qui nous intéressent : elles font partie des maintenant fameux emprunts structurés, souvent dits « toxiques » car potentiellement dangereux pour les emprunteurs. Leurs formules de calcul du taux d’intérêt sont d’ailleurs déconseillées formellement aux collectivités locales, tant par le ministère des Finances que la Cour des Comptes3 .
Pourquoi sont-ils dangereux ? Parce qu’ils peuvent voir leurs taux exploser, bien plus qu’un emprunt à taux variable « classique » , et évidemment qu’un emprunt à taux fixe, les deux derniers étant plus chers mais plus sûrs.
Ils contiennent également une période dite de bonification, où un taux fixe très avantageux est appliqué pour les intérêts : ainsi, une ville pourra avoir un taux de 3,5 % pendant cinq ans, puis c’est la formule qui rentre en jeu ,avec par exemple un taux de 12 % pour certaines municipalités. Dans le cas qui nous occupe ici, la période de bonification est placée à la fin de l’emprunt, ce qui est relativement rare, et donnera une meilleure visibilité budgétaire à la prochaine équipe municipale.
Selon Guillaume Guibet, cet emprunt de renégociation avait pour but de diminuer les risques d’un emprunt structuré souscrit par la précédente municipalité en 2007, et dont la période de bonification touchait à sa fin, en pleine crise de 2008 (ce qui aurait entraîné une explosion des taux dès la fin de 2008). Pour que Dexia accepte de renégocier dans des conditions acceptables pour la municipalité, d’autres emprunts plus sûrs ont également été intégrés dans la renégociation.
C’est comme cela, selon lui, que la ville s’est retrouvée avec cet emprunt divisé en trois tranches : la plus sûre permet de diminuer les fluctuations de la partie structurée, tandis que les deux autres tranches plus dangereuses résultent de la reconduction, forcée par Dexia pour accepter la renégociation, du montant qui restait à payer de l’emprunt de 2007.
Selon l’adjoint aux Finances, toutefois, ces deux tranches sont « contracycliques » , c’est-à-dire que si un des taux monte, l’autre devrait baisser ou du moins ne pas monter lui aussi. On notera toutefois que les documents de la mairie eux-même, visibles ci-dessous, montrent qu’au moins un de ces emprunts verra probablement son taux augmenter fortement d’ici quelques années4 . Guillaume Guibet espère pouvoir renégocier à nouveau avant ce moment, prévu pour 2019, mais qui pourrait arriver plus tôt si la situation financière internationale se dégrade plus vite que prévu.
Extrait de la troisième tranche de l’emprunt Dexia, contracté en 2010. La hausse des taux est pour le moment prévue autour de 2018. | Source : Mairie de Vernon / Finance Analyse
L’emprunt Caisse d’Epargne de 2007 | 4 millions d’euros
Cet emprunt a été souscrit en 2007, par l’équipe municipale précédente. Il constituait alors un nouvel emprunt (et non une renégociation) . Il reste aujourd’hui à la ville environ trois millions d’euros à régler, et il court jusqu’en 2022.
Pourquoi est-il dangereux ? Au même titre que les deux tranches d’emprunt ci-dessus, son taux dépend d’une formule complexe. Le mélange d’indices financier choisi est différent, reposant sur des écarts entre les valeurs du franc suisse et du dollar. Ces emprunts sont tout aussi formellement déconseillés par les instances officielles de l’État français.
Par ailleurs, leur période de bonification n’est pas à la fin du contrat mais les cinq premières années, avec pour le moment un taux très intéressant de 3,40 % . Une fois cette période terminée, les prévisions que possède la mairie font état d’une explosion des taux, encore plus forte qu’avec l’autre emprunt structuré de la ville. Ainsi, en 2013, le taux pourrait passer de 3,40 % à plus de 10 %. Selon Jean-Luc Miraux, la mairie n’avait reçu aucune proposition mettant ces taux à la fin du remboursement plutôt qu’au début.
A titre d’exemple, comparons cet emprunt avec un emprunt fixe au taux de 5 % . Les cinq premières années, en période de bonification, l’emprunt structuré permettra d’économiser environ 300 000 euros. Les neuf dernières années, avec la formule de calcul du taux et les prévisions faites à ce jour, c’est plus de 500 000 € que la ville perdra par rapport à un taux fixe de 5 % . Cela représente donc une perte sèche de 200 000 € dans cet exemple.
On voit là que les allégations de nombreux élus, à propos d’économies faites quand eux étaient en place, sont vraies. Ce qu’ils ne précisent pas, c’est que la hausse des taux à la fin de cette fameuse période de bonification renversera ce bilan positif.
Pourquoi ne pas renégocier ? Selon Guillaume Guibet, la mairie a essayé dès 2008 de renégocier cet emprunt. Cependant, les conditions proposées sont pour le moment considérées comme inacceptables. En effet, ce sont des pénalités d’environ un million d’euros qui sont demandées pour sortir de renégocier cet emprunt vers un taux variable classique, soit un tiers du capital qu’il reste à rembourser. Selon divers interlocuteurs du secteur bancaire, si la ville voulait purement et simplement annuler cet emprunt, la somme à payer serait même supérieure à deux millions d’euros, soit les deux tiers du capital qu’il reste à rembourser5 ! L’adjoint aux Finances ne fait d’ailleurs pas mystère de la nécessité absolue de renégocier avant 2013. Rien ne dit qu’il y arrivera cependant.
Extrait de l’emprunt Caisse d’épargne de 2007. On observe bien, en 2013, le passage d’un taux fixe (période de bonification) à un taux d’intérêt variable, qui fait exploser le remboursement des intérêts d’emprunt. | Source : Mairie de Vernon / Finance Analyse
Une part préoccupante dans l’endettement total de la ville
La ville de Vernon est endettée à hauteur de 32 millions d’euros. Les trois emprunts structurés, tous trois considérés comme toxiques par le ministère des Finances et la Cour des Comptes, représentent à ce jour un capital à rembourser de neuf millions d’euros (hors intérêts) . C’est environ 28 % de la dette totale de la ville. Si ce nombre ne met pas les finances de la ville en danger, il reste toutefois important pour une ville de moins de 50 000 habitants.
La seule solution reste de surveiller de très près ces emprunts, afin de les renégocier dès que possible, pour diminuer le risque qu’ils font peser sur la majorité municipale et celle qui suivra.
L’origine de ces neuf millions d’euros d’emprunts structurés, qu’ils aient été renégociés depuis (comme l’emprunt Dexia) ou non (l’emprunt Caisse d’Épargne) , revient à la mandature de Jean-Luc Miraux. Deux arguments, toutefois, peuvent justifier ces choix lorsqu’il était maire, et lui permettent de dire aujourd’hui qu’il « ne pense pas avoir fait des erreurs » :
- Il faut se souvenir que les emprunts structurés (dont certains sont effectivement toxiques) , avant 2008, étaient vantés par les banques, et peu surveillés par l’Etat Français. De très nombreuses villes ont cédé à l’attrait de taux de bonification très intéressants. Mais aussi à des prévisions très optimistes de la part des banques prêteuses concernant les futurs taux variables. Ce bel assemblage a malheureusement été déchiré avec l’arrivée de la crise financière mondiale. En effet, les indices financiers utilisés pour le calcul des taux ont atteints des niveaux jamais vus auparavant, considérés comme impossibles à atteindre dans les prévisions des banques avant 20086 . Jean-Luc Miraux me dira à ce propos : « Personne n’a vu venir la crise, y compris les banquiers. » . Il ajoutera plus tard : « Aujourd’hui, je ne reprendrais pas ce type de produits » .
- Un taux de bonification placé au début d’un emprunt structuré, dans un contexte politique, peut donner l’impression aux administrés que la municipalité s’arrange ainsi pour faire payer ses successeurs, tout en bénéficiant de très bons taux durant sa mandature. Jean-Luc Miraux admettra d’ailleurs « l’existence de cet aspect » . Toutefois, ce dernier insistera sur la nécessité de surveiller au plus près les emprunts, car « on peut toujours sortir d’un contrat avec une banque, c’est un jeu de négociation permanent. » . Il évoquera aussi l’idée de « mettre dans la balance les futurs emprunts » pour obtenir des conditions de renégociation acceptables.
En somme, Jean-Luc Miraux reproche à la mairie son inaction sur le sujet, et des capacités de négociations moins bonnes que sous sa mandature. Guillaume Guibet m’a affirmé que ses services ont tenté dès 2008 de renégocier les emprunts pris par Jean-Luc Miraux, n’échouant que pour l’emprunt de la Caisse d’Epargne. En ce qui concerne les capacités de négociation des uns et des autres, on notera que les conditions d’emprunt pour les collectivités sont très dégradées depuis 2008. La mairie de Vernon est ainsi loin d’être la seule à échouer dans ses renégociations d’emprunts toxiques.