Vernon Politique

Benjamin Pied, illustre Vernonnais

EdNonrev

La désaffectation du square Benjamin Pied, situé entre l’hôpital Saint-Louis et le cinéma de Vernon, a donné lieu au dernier conseil municipal à de grosses imprécisions. Et ce, tant de la part de la majorité municipale que de Bernard Touchagues (Parti de la France). L’occasion de revenir sur l’histoire de cet espace vert, de la rue qui porte le même nom et de Benjamin Pied lui-même.

Avant de commencer, je tiens à remercier le service des Archives de la mairie de Vernon, qui m’a aimablement aidé dans mes recherches. Merci à [nom supprimé] en particulier, qui m’a permis de consulter et de publier les informations qu’elle avait patiemment rassemblées sur le personnage oublié de Benjamin Pied.

Sommaire :

  1. Quand leur mémoire fait défaut aux élus vernonnais : petite histoire d’un square de Vernon
  2. Benjamin Pied, généreux donateur du XIXème siècle
  3. La rue Benjamin Pied, de la grande artère de l’hôpital à la petite impasse

Quand leur mémoire fait défaut aux élus vernonnais : petite histoire d’un square de Vernon

Le square Benjamin Pied vu depuis la rue du Docteur Burnet. Avril 2012.

La présentation de la décision par Philippe Nguyen Thanh parlait d’une création de cet espace vert “entre les années 1975 et 1980”. Bernard Touchagues, pour qui cette date était fausse, parlait pour sa part d’une création “entre 1995 et 2000”. Chacun des deux élus avait partiellement raison, et surtout tort. À leur décharge, l’histoire de ce site, qui rassemble le square Benjamin Pied et la maison Rose, est assez complexe.

En 1974, la mairie de Vernon achète au couple Ozanne leur petite propriété, au 24 rue Benjamin Pied1. Puis, en 1977 et “vu la nécessité de créer un parking en face de l’hôpital”, la mairie décide d’acheter la parcelle d’à côté, au numéro 26 de la rue. L’acquisition se fait pour la somme de 155 250 francs, soit 89 000 euros d’aujourd’hui2.

En 1994, la majorité de Jean-Claude Asphe fait de l’endroit un square public. Il est alors nommé Benjamin Pied, “pour confirmer la reconnaissance de la Ville à ce bienfaiteur de l’hôpital et de la commune.

Sur la droite, au premier plan : le square Benjamin Pied, puis la maison Rose, vus depuis la rue Benjamin Pied. Avril 2012.

En 2000, Jean-Claude Asphe décide d’acheter une maison qui se trouve entre le square et la place de Paris, au 28 rue Benjamin Pied. Le site est acheté au couple Rose pour 790 000 francs, soit 149 000 euros aujourd’hui3. Il le fait pour “étendre le jardin public situé place de Paris”, sans pour autant engager ensuite des travaux. Jean-Luc Miraux lui succède en 2002, et depuis, la maison Rose est restée en l’état.

Par ailleurs, la parcelle située entre le square et l’hôpital Saint-Louis est toujours indiquée sur le plan local d’urbanisme de Vernon comme étant un “emplacement réservé” par la ville. Cela signifie que la ville devra chercher à l’acheter si jamais elle est en vente, voire la préempter.

Extrait de la liste des emplacements réservés du plan local d’urbanisme de Vernon.

Dans la liste de ces emplacements réservés, une raison est donnée par la ville : la “création d’un espace vert rue Benjamin Pied”, ce qu’on peut voir comme un héritage de Georges Azémia et de Jean-Claude Asphe. L’actuel plan local d’urbanisme est en application depuis 2005, élaboré sous le mandat de Jean-Luc Miraux. Il a été révisé.en 2010 par l’équipe municipale actuelle, et sera remplacé à la fin de l’année 2012.


Benjamin Pied, généreux donateur du XIXème siècle

Benjamin Pied, né en 1797, est le fils d’un conseiller municipal de Vernon. Mais ce n’est pas la raison pour laquelle une rue et un square de la ville portent aujourd’hui son nom. Si l’homme est resté longtemps dans les mémoires, c’est à cause d’une donation qu’il fit à sa mort, en 1867.

Ce legs instituait une rente annuelle à la ville de 1200 francs, dont 1000 étaient destinés à une rosière. Ce mot oublié désigne une jeune fille pauvre ou orpheline et de bonne moralité, qui devait être, selon le testament de Benjamin Pied, une Vernonnaise. Cette donation était destinée à permettre à la jeune femme, élue sur candidature par le conseil municipal, de se marier, ce qu’elle devait faire dans l’année.

Les candidates à l’élection de la rosière pour l’année 1875. | Source : archives de la mairie de Vernon.

Cette tradition de la rosière du legs Pied fut très courue jusque dans les années 1950. L’élection de la rosière de Vernon était ainsi relatée dans Le Démocrate. Et les candidates étaient nombreuses, une dizaine chaque année pendant les premières décennies. La somme était en effet importante pour l’époque.

Cette élection de la rosière par le conseil municipal se tint jusque dans les années 1980. Cependant, cela faisait longtemps déjà que les candidates étaient rares, et le legs Pied loin d’attirer l’attention des jeunes Vernonnaises. D’ailleurs, le montant qui était distribué était devenu tellement faible que le conseil municipal rajoutait de l’argent. Les dernières années, plus de 90 % de la somme dévolue à la rosière de l’année provenait de la mairie et non du legs Pied.


La rue Benjamin Pied, de la grande artère de l’hôpital à la petite impasse

La rue Benjamin Pied, vue de la place de Paris. Avril 2012.

Lors de son décès, Benjamin Pied résidait au premier numéro de la Chaussée de Paris. C’est donc logiquement que la mairie décida, en 1905, de renommer cette rue en son nom, pour le remercier de son legs. Il est alors qualifié au conseil municipal de “généreux philantrope”.

La rue allait à l’époque de la place de Paris à l’avenue de Paris, en longeant l’ancien hôpital (elle traverserait en son milieu l’hôpital rénové). Jusqu’au réaménagement de l’hôpital Saint-Louis, en 1965, la rue Benjamin Pied était donc une rue importante de Vernon, c’est d’ailleurs par elle qu’on se rendait à l’hôpital.

Vue aérienne de Vernon, 1947. Au premier plan, sur la gauche, on reconnaît la rue Benjamin Pied à sa courbure caractéristique (on peut également observer l’ancien hôpital). | Source : archives de la mairie de Vernon.

Après le réaménagement, la rue s’est trouvée coupée en deux par le nouvel hôpital, chaque partie devenant séparée de quelques centaines de mètres. Finalement, en 1993, il fut décidé de renommer “rue du Grévarin” la partie de la rue située à l’Est, partie encore reliée à l’avenue de Paris.

C’est la petite impasse située place de Paris qui conserva le nom de Benjamin Pied. Quand à l’hôpital, on y accède maintenant par la rue du Docteur Burnet, et une haie sur un muret le sépare définitivement de ce qui reste de la rue Benjamin Pied4.

La suppression du square Benjamin Pied n’est finalement qu’une étape de plus de la lente disparition de l’homme dans les rues de Vernon, et dans la mémoire de ses habitants.

Mise à jour, 25 janvier 2013 :

  • L’article a été expurgé de tout nom de fonctionnaires municipaux, sur demande du maire de Vernon (demande assortie d’une menace de poursuites judiciaires, compte tenu de « la protection des fonctionnaires que toute autorité territoriale doit mettre en oeuvre »).
  • En effet, le maire de Vernon exige de ma part que je ne ne cite “aucun nom de fonctionnaire, quel qu’il soit, quelle que soit sa fonction et dans tous vos articles.”
  • Explications ici : Censure : le maire socialiste de Vernon menace de me trainer en justice

Aller plus loin :

Texte d'[nom supprimé], du service des Archives de la mairie de Vernon, sur Benjamin pied et les rosières de Vernon : Benjamin Pied

Un plan des environs, qui date de 1862, avant que ne soit créée la rue du Docteur Burnet (et l’hôpital agrandi) : Plan de la place de Paris

Une description de la rue Benjamin Pied en 1958 : Vernon à travers ses rues, par Jean Guéritte

  1. Cette phrase est une mise à jour du 16 avril : l’achat au couple Ozanne est un oubli de ma part, ma recherche aux archives ayant débuté à l’année 1975. Un oubli que n’a pas fait la mairie de Vernon, qui a par ailleurs corrigé sa présentation du square dans le compte-rendu de la décision de désaffectation.
  2. La somme en euros est corrigée pour prendre en compte l’inflation, comme toutes les autres sommes en euros présentées dans cet article.
  3. C’est de leur nom de famille, et non de la couleur de la façade en briques rouges, que vient le nom qui est aujourd’hui donné à la maison.
  4. Même si, ironiquement, le porche de l’hôpital semble lui faire face. Cela induit d’ailleurs en erreur beaucoup de passants et de patients. On peut ainsi en voir régulièrement passer rue Benjamin Pied, avant de faire demi-tour une fois devant la grille.