Vernon Politique

Pas de Paris Normandie lundi dernier : la direction invoque la liberté de la presse

EdNonrev

Encadré en Une de l’édition du mardi 3 avril 2012 de Paris Normandie

Lundi dernier, Paris Normandie n’est pas paru dans notre région. Pourtant, ce n’était pas un jour de grève pour les salariés. Le journal lui-même fut préparé et imprimé, comme tous les jours. Mais, apprenant que les deux syndicats du journal avaient inséré, à son insu, quatre pages consacrées aux demandes des salariés dans cette édition, la direction de Paris Normandie a décidé d’en interdire la diffusion. Elle s’en expliquait hier dans une curieuse adresse aux lecteurs.

L’occasion de faire le point sur la situation du journal, en redressement judiciaire, et de ses 307 salariés1, suspendus à la décision du tribunal de commerce du Havre et aux atermoiements de son propriétaire. Cette décision, qui interviendra le 11 avril, devrait se conclure par la reprise du journal.

Sommaire :

  1. Un point sur la situation de Paris Normandie
  2. Édition de lundi : communication syndicale et panique de la direction
  3. Un avenir en suspens

Un point sur la situation de Paris Normandie

La SNPEI, qui édite Paris Normandie, Le Progrès de Fécamp, Le Havre Libre et Le Havre Presse, fait partie du groupe Hersant, détenu par Philippe Hersant. En grandes difficultés financières, cet énorme groupe de presse locale a été renfloué en octobre dernier par le groupe de presse belge Rossel, qui édite notamment La Voix du Nord. Chaque groupe est devenu à moitié propriétaire de l’autre dans l’opération.

La SNPEI, qui connaissait un déficit d’exploitation de plus de deux millions d’euros en 2010, fut laissée de côté dans cet accord. Le groupe Rossel, qui a émis son désir de le racheter une fois le déficit résorbé, laissait ainsi “le sale boulot” de la restructuration à Philippe Hersant.

Après le dépôt de bilan, puis la mise en redressement judiciaire du journal (en février dernier), un plan social a été présenté aux salariés le 14 mars. Celui-ci prévoit la suppression de 30 % des emplois, soit de 111 à 113 postes sur les 365 salariés (pour les quatre titres)2. L’Eure serait particulièrement touchée, avec sept journalistes pour couvrir le département, contre quinze actuellement. Cela représenterait une économie annuelle de 5,6 millions d’euros, soit 3,5 millions d’euros de plus que le déficit en 2011.

Les deux syndicats du journal, le SNJ-SNPEI et Silpac CGT3, sont en guerre ouverte contre leur direction et leur actionnaire. Cela se traduit par des actions des salariés dans la région en direction des lecteurs. Mais aussi par des manifestations régulières pour obtenir l’attention de leur actionnaire : les salariés devaient ainsi manifester ce matin devant le siège du groupe Hersant, situé à Torcy, mais sont finalement allés occuper un des golfs détenus par leur actionnaire4.

Les syndicats s’estiment trahis par une direction qui est pourtant à la tête de Paris Normandie depuis des années, et donc responsable de la baisse importante de la diffusion du journal. Quant à Philippe Hersant, ils lui reprochent notamment une absence historique d’investissements de sa part dans la SNPEI.

La direction, elle, brille depuis des mois par son absence de communication, tant auprès des salariés que des lecteurs. Seuls quelques articles dans la presse nationale, et sa présence aux instances sociales obligatoires, ont permis d’apprendre les modalités de la restructuration du journal.


Édition de lundi : communication syndicale et panique de la direction

Une de la première page du feuillet syndical, Paris Normandie du lundi 2 avril 2012 (non paru).

C’est dans ce contexte pour le moins tendu que des salariés de Paris Normandie ont préparé quatre pages spéciales, destinées à exprimer le point de vue des syndicats auprès des lecteurs du journal. Un feuillet spécial préparé à l’insu de la direction5.

Ce feuillet, ce sont les ouvriers du Livre eux-même qui se sont chargés de l’imprimer, au milieu du journal de lundi dernier. Il remplaçait uniquement le programme télé dans toutes les éditions (sauf une, où une autre page sautait). C’est seulement au cours de l’impression que la direction du journal s’est aperçue de la supercherie.

Et la direction, ou Philippe Hersant directement, devant le refus des salariés de réimprimer entièrement le journal, ont décidé d’employer la manière forte. C’est ainsi que l’arrêt en catastrophe de la diffusion de Paris Normandie a été effectué, y compris pour les abonnés. Le journal aurait pourtant été, au programme télévisuel près, strictement le même qu’à l’habitude. Dommage pour les lecteurs, les journalistes et les finances du journal.

Que contenait ce feuillet syndical paru mais non diffusé ? Vous pourrez le lire par vous-même en le téléchargeant en fin d’article. En vrac :

  • Un démenti du caractère fortement déficitaire de Paris Normandie : selon les syndicats, le déficit d’exploitation pour 2011 est de 600 000 euros, et non deux millions d’euros.
  • La nécessité absolue d’investir dans le groupe, au lieu de supprimer son implantation locale. Les syndicats font remarquer que la baisse de la diffusion ces dernières années a été la plus forte là où les bureaux locaux ont été fermés.
  • Un rejet massif de l’encore actionnaire Philippe Hersant, et de son absence d’investissements dans le journal. La direction du journal, elle, est violemment mise en cause à propos de son attitude concernant ce conflit social, mais aussi pour sa politique éditoriale et stratégique.
  • Un recensement des actions syndicales, nombreuses, au sein des journaux du groupe Hersant et dans d’autres groupes, menacés de plans sociaux.
  • Un article du Silpac CGT, qui dénonce les récents propos tenus par Nicolas Sarkozy contre ce syndicat.

Message de la direction du journal, Paris Normandie du mardi 3 avril 2012.

La direction, pour sa part, s’est adressée brièvement aux lecteurs dans une adresse non signée, parue dans l’édition du mardi. Elle y écrit en particulier que “les principes qui régissent notre profession, ainsi que la loi sur la liberté de la presse, doivent s’appliquer”, et explique le déroulement de son interdiction de diffusion.

L’argumentation qui permet à la direction d’invoquer la liberté de la presse est simple : “Personne n’a le droit de changer le contenu du journal pour imposer sa parole”. On notera que la direction, elle, se permet d’aller jusqu’à la non-diffusion d’un journal imprimé pour imposer son silence.

Enfin, les dirigeants du journal écrivent que “le journal et ses lecteurs n’appartiennent à aucune organisation syndicale”. À titre personnel, on a surtout compris en lisant cela que pour la direction, “le journal et ses lecteurs” lui appartiennent, ainsi qu’à son actionnaire Philippe Hersant.


Un avenir en suspens

Manifestation au golf Robert Hersant de Nantilly. La foule allongée se veut représenter les 113 (ou 111) licenciements. Mercredi 4 avril 2012. | Source : Pascal Le Boulch, CGT.

Les salariés de Paris Normandie et leurs syndicats ne comptent pas en rester là, comme en témoigne l’occupation en début d’après-midi ce mercredi d’un golf possédé par leur actionnaire, Philippe Hersant6. Les actions de communication continueront au moins jusqu’au 11 avril, date à laquelle le tribunal de commerce du Havre rendra sa décision. Si aucun repreneur n’est trouvé d’ici là, le tribunal pourra prolonger le délai de redressement judiciaire, ou prononcer la liquidation.

Quels sont les éventuels repreneurs ? Le groupe Rossel est évidemment en première ligne depuis son rapprochement avec le groupe Hersant. Deux anciens directeurs du groupe Hersant seraient aussi sur les rangs, une offre de reprise ayant même été faite. Enfin, il y aurait un troisième repreneur en la personne d’un ancien directeur du Républicain Lorrain.


Mise à jour, jeudi 5 avril : Plan social suspendu après une offre de reprise pour Paris Normandie, peut-on lire aujourd’hui dans l’Express. L’offre ferme de reprise, par deux anciens du groupe Hersant, a été acceptée. Le plan social est suspendu pour le moment, avant d’être relancé à la baisse. Plutôt une bonne nouvelle, donc, pour les salariés.


Mise à jour, jeudi 12 avril : le tribunal de commerce du Havre a pris la décision de prolonger l’activité de Paris Normandie jusqu’au 21 juin prochain, compte tenu de l’offre de reprise et de l’état de la trésorerie. On pourra lire les propos du SNJ de la SNPEI sur le sujet, et une photo de la manifestation devant le tribunal le jour de sa décision : Un répit jusqu’au 21 juin…


À court terme, et sauf si un repreneur veut investir massivement, le résultat sera le même pour les salariés de la SNPEI : le plan social sera fait, avec plus de 100 licenciements7. Si cela devrait permettre de redresser nettement les comptes du groupe, il semble qu’il sera difficile d’arrêter la chute de la diffusion de Paris Normandie avec ces nouvelles suppressions d’équipes implantées localement.

En ce qui concerne Vernon et la CAPE, le bureau permanent du journal pourrait ne devenir qu’une simple antenne, avec les conséquences évidentes que cela aurait sur la qualité de l’information locale. Si les deux journalistes présents à Vernon ne devraient pas être touchés par le plan social, ils seront forcément moins présents dans la ville. Dommage pour les lecteurs, pour la pluralité de la presse, et pour Paris Normandie.


Avertissement

Comme tout milieu socio-professionnel, le monde du journalisme à Vernon est restreint. Je fréquente donc naturellement les journalistes vernonnais de Paris Normandie. Je les lis également, souvent avec intérêt. Que le lecteur me pardonne s’il me trouve moins factuel qu’à l’habitude.

C’est avant tout mon inquiétude de lecteur qui me pousse à écrire cet article, article qui est aussi le premier du site à n’avoir pas de lien direct avec la politique. J’y pensais depuis un moment, la non-parution du journal m’aura semblé une bonne occasion de le faire.

Mise à jour : cet article a été mis à jour peu après parution, car il y avait une confusion quant au lieu de manifestation des salariés de Paris Normandie. A été ajoutée également la possibilité d’un troisième repreneur.


Aller plus loin

Le feuillet syndical sur la situation qui règne à Paris Normandie.

Le journal Grand-Rouen, animé par Sébastien Bailly, un ancien journaliste de Paris Normandie, publie régulièrement des informations exclusives sur la situation à Paris Normandie : articles de Grand-Rouen consacrés à Paris Normandie

Le site du syndicat des journalistes de Paris Normandie (et des trois autres journaux de la SNPEI) : Le blog du SNJ de la SNPEI

Article de France 3 Haute-Normandie à propos de la manifestation d’aujourd’hui au golf de Philippe Hersant, accompagné d’une vidéo : Les Paris Normandie : un coup au golf

Un article publié dans Marianne en décembre 2011, consacré à Philippe Hersant et à sa gestion du groupe : L’héritier Hersant n’a pas réussi à se faire un prénom

  1. 365 salariés avec les trois autres journaux de la SNPEI.
  2. On pourra consulter cet article de Grand-Rouen pour voir le tableau des suppressions : Évolution de l’effectif de Paris Normandie après le plan social
  3. Le Silpac CGT est le syndicat du Livre : il représentent les salariés qui impriment les journaux en France.
  4. Ceci à la grande surprise des CRS, qui attendaient en nombre les salariés devant le siège du groupe Hersant, mais pas au golf.
  5. Une direction qui n’avait, semble-t-il, pas non plus proposé un espace d’expression aux salariés depuis la mise en redressement judiciaire.
  6. Mise à jour, jeudi 5 avril : cette action était accompagnée d’un jour de grève, raison de l’absence de parution de ce jeudi.
  7. Les dernières nouvelles font état de 112 licenciements environ avec une reprise par le groupe Rossel, contre 88 avec les anciens du groupe Hersant.